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La performance sociale, maillon après maillon

La performance sociale, maillon après maillon

Publication of type Interview published on 16-12-2015

A un bout de la chaîne du projet de développement, on connaissait la mesure d’impact social. CERISE, une ONG française, a développé un outil d’auto-évaluation, gratuit et online, pour évaluer la performance sociale : partir des processus au lieu du résultat, et piloter l’amélioration progressive de la mise en œuvre de la mission sociale pour pouvoir également comparer des projets entre eux, c’est le pari de cet outil qui a été adopté par l’AFD et gagnerait à se généraliser !

 

 

 Quelques mots sur votre parcours ?

Jon Sallé (JS) : Engagé dès mon école d’ingénieur, j’ai eu la chance de partir voyager puis de faire partie du Master management du développement durable d’HEC - dans l’une des premières promotions de la chaire entrepreneuriat social. J’ai ensuite travaillé dans la microfinance, gagné quelques compétitions de startups sociales, me suis initié à l’opérationnel aux Comores et en Inde avant d’arriver chez CERISE en janvier 2015.

 

Pouvez-vous nous présenter CERISE et le programme sur lequel vous travaillez ?

JS : CERISE est une petite association française, basée passage Dubail à Paris (où se trouvent le CRID et de nombreuses ONG). A la base, c’était un réseau de praticiens du développement, fondé justement par des ONG (CIRAD, GRET, IRC, IRAM…) en 1998, qui s’est structuré en association en 2011, avec comme objet la mise en commun de moyens liés à la recherche sur la finance éthique. Notre spécialité reste la microfinance, mais dans ce domaine nous poussons surtout la promotion de la performance sociale, un sujet qui est maintenant approprié par l’ensemble des acteurs. Nous avons développé l’outil d’auto-évaluation social le plus utilisé dans cette industrie, le Social Performance Indicator (SPI), qui en est à sa quatrième version, SPI4, depuis la première éditée en 2001. Au sein de l’association, je suis en charge des programmes d’entrepreneuriat social, du développement et de la promotion du nouvel outil mis en œuvre par CERISE, la Social Business Scorecard (SBS) disponible en ligne gratuitement depuis mai 2015. L’idée est de bâtir sur l’expérience de SPI et de la microfinance.

CERISE a quatre salariés : Cécile Lapenu, la directrice ; Bonnie Brusky, spécialisée en performance sociale et impliquée dans la Smart Campaign (protection des clients en microfinance), Marie Anna Bénard qui s’occupe d’évaluation et d’analyse - et moi. Nous travaillons en réseau, c’est notre force !

 

Pourquoi CERISE a-t-elle créé l’outil SPI ?

JS : La performance sociale est un sujet qui a émergé dans la microfinance il y a une quinzaine d’années, suite à la « mode » des années 2000 et un double phénomène : d’un côté, une vraie commercialisation du secteur, avec des dérives de mission où les opérateurs étaient davantage dans une logique commerciale, qui s’est parfois faite au détriment des bénéficiaires ; de l’autre, les études randomisées, menées par Esther Duflo, montraient que la microfinance n’avait pas énormément d’impact, comparé à ce qui pouvait être présenté comme une solution universelle. Mais il faut dire que c’est extrêmement compliqué d’assigner l’impact d’un micro-crédit, et trop souvent quand l’impact était nul, on étudiait en amont de la chaîne d’impact (Social Impact Chain en anglais), pour évaluer l’outcome (le changement), puis on remontait encore au maillon d’avant…

Cela a mené à s’interroger sur la performance sociale et notamment à étudier les processus mis en place pour atteindre une mission sociale.

Dans la performance sociale, nous maillons la chaîne depuis le début et non depuis la fin, comme cela se faisait par l’évaluation d’impact. Nous nous assurons que les maillons sont bien maillés : que l’intention est bien définie, que les moyens et activités sont adaptés et permettent de réaliser la mission sociale. Notre intuition, c’est que si les maillons sont maillés, les résultats sont atteints. Donc nous n’évaluons pas l’impact, mais les processus. Dans les outils que nous proposons, nous amenons les porteurs de projet – des organisations ayant une finalité sociale ou environnementale – à se poser les bonnes questions pour être plus performants, c’est-à-dire connecter leur intention avec leur résultat.

 

Pouvez-vous nous décrire l’outil SPI4 ?

JS : CERISE et le groupe international Social Performance Task Force – des professionnels de la microfinance – se sont mis d’accords sur des standards universels de la performance sociale. Ce groupe a sélectionné 200 indicateurs, répartis dans 7 dimensions et nous avons bâti l’outil, sous Excel, disponible gratuitement sur internet. Il permet à une institution de microfinance (IMF) de s’autoévaluer pour initier un processus d’amélioration de ses pratiques managériales. Une série de questions mène à des scores et génère des tableaux de bord, utile pour l’entrepreneur, son CA, etc. C’est le cœur de l’outil et de ses résultats, il facilite la mise en place d’un plan d’action d’amélioration des pratiques managériales.

Cet outil est destiné avant tout à l’autoévaluation, et de nombreux guides d’accompagnement sont disponibles sur le site de SPI4. Mais CERISE et son réseau de partenaires peuvent aussi accompagner les IMF dans la conduite de l’audit, et les aider à la définition et à l’implémentation d’un plan d’action. SPI4 est traduit en français, anglais, espagnol, portugais, russe, arabe et vietnamien. Il est utilisé dans 60 pays, environ 150 fois par an.

 

Et vous venez de créer un nouvel outil, une déclinaison ?

JS : Oui, il y a trois ans, nous avons eu envie de bâtir sur l’expérience en microfinance pour créer un outil adapté à l’entrepreneuriat social. Nous avons travaillé en réseau avec AIDR, Investisseurs et Partenaires, GRET, AFD, etc.  Et le résultat est sur internet depuis avril : gratuit, accessible en donnant son mail. Il permet, sur le même modèle, d’évaluer les pratiques des entrepreneurs sociaux. Nous avons fait une quinzaine d’études nous-mêmes, au Cambodge, au Burkina Faso, en Haïti et sur d’autres territoires et nous en avons tiré des résultats assez intéressants. Par ex, Nutri’Zaza à Madagascar, passait par un réseau de femmes franchisées : elles ont un travail très pénible, des revenus faibles et variables, mais elles ne savaient même pas que Nutri’Zaza était une entreprise sociale. On a recommandé que les femmes soient employées, ce qui a permis une grande réduction du turnover, de voir des femmes beaucoup plus impliquées, qui communiquent plus sur la spécificité de la démarche de l’entreprise et du produit, une bouillie enrichie pour bébé.

 

Quelle est votre particularité ?

JS : Les gens se focalisent sur les bénéficiaires, alors que nous centrons notre étude sur la performance des pratiques managériales : ce sont des données comparables, puisqu’elles demandent moins de contexte, donc plus efficaces à étudier. Aujourd’hui cela reste une hypothèse, on bâtit des bases de données pour essayer de la prouver – l’une pour la microfinance, l’autre pour l’entrepreneuriat social. Ce qui est intéressant avec les processus managériaux, c’est que les bonnes pratiques sont les mêmes dans toutes les organisations.

Quand une IMF ou un entrepreneur social utilise notre outil, il est gratuit mais on lui demande en contrepartie de partager ses résultats. Il faut des bases de données assez solides pour faire des analyses statistiques et cela nous est particulièrement précieux car nous voulons prouver que si l’on a de bonnes procédures, on a à la fois un impact plus fort et de meilleurs résultats financiers.

 

Proposez-vous des services en plus de l’outil ?

JS : Oui ! L’outil étant assez lourd, assez compliqué, beaucoup d’organisations aiment passer par un expert sur le terrain. Nous proposons du soutien, de l’analyse de données pour les utilisateurs et des formations pour les consultants qui l’utilisent dans le monde entier. Nous proposons aussi un accompagnement dans la conduite du changement, dans le cadre de missions spécifiques, comme récemment dans une dizaine de pays africains auprès de REGMIFA, pour augmenter les capacités managériales d’une vingtaine d’IMF dans lesquelles ce fonds a investi.

Nos missions financent 60% du travail de l’association, part qui est complétée par des subventions : Fondation Ford, Lichtenchtein, et des gros bailleurs qui travaillent à un niveau intermédiaire sur les innovations structurantes pour les industries émergentes.

 

Qui sont vos utilisateurs ?

JS : L’outil est fait pour les IMF principalement, ou les entrepreneurs sociaux, pour de l’autoévaluation – mais il est très puissant pour la communication interne et externe, et peut donc être utilisé en reporting par un bailleur de fonds pour un refinancement. En ce moment nous travaillons d’ailleurs sur l’utilisation pour des due diligence : pour des investisseurs qui veulent collecter assez d’informations pour décider d’investir ou non dans une structure donnée. L’un des objectifs de ces standards universels est d’ailleurs de réduire le reporting burden des IMF : elles passent énormément de temps à répondre aux exigences propres de chacun de leurs bailleurs. A l’AFD, l’outil est très bien accepté, comme chez la fondation Grameen-Crédit Agricole ou l’Adie pour les projets en France.

En réalité, la démarche peut se révéler très utile aussi pour des associations qui ont des projets entrepreneuriaux – cela a été le cas pour ETD au Togo, qui crée des ESOP (entreprises de soutien aux organisations de producteurs) dont le rôle est d’acheter, transformer et distribuer les produits. Ils impliquent les petits producteurs à l’actionnariat et leur donne des contrats formels. Nous avons travaillé avec eux dans le cadre d’une transformation en SA et d’un souci de gouvernance : les enjeux sont nombreux – formalisation, communication auprès des bénéficiaires –, et il ne faut pas les oublier pour garantir la finalité sociale dans le temps. Un exemple complémentaire est celui d’une autre ONG au Togo, qui soutient les petits agriculteurs, notamment en montant des centres de santé en zone rurale et en gérant des mutuelles de santé. L’ONG n’avait pas d’indicateur de profils et a réalisé que les utilisateurs des centres de santé n’étaient pas les agriculteurs ciblés. Il leur manquait un indicateur (les profils), qui aurait permis d’améliorer leurs processus et de cibler leur marketing.

 

Quelles sont les perspectives aujourd’hui ?

JS : Nous avons aujourd’hui un outil assez robuste, que l’on continue cependant à développer. Mais c’est très social, axé sur le développement, moins sur l’environnement. Nous avons par exemple une dimension « public cible »,  pas forcément pertinente pour des organisations environnementales, qui auraient plutôt besoin d'une dimension « bien commun » par exemple. Nous nous interrogeons aussi sur la gouvernance de ces projets d’ONG qui se transforment en entreprise, c’est un vrai sujet. Enfin, l’AFD a lancé un fonds d’investissement pour l’entrepreneuriat social, et ils veulent utiliser notre outil Social Business pour évaluer les projets. De notre côté, nous cherchons des financements pour développer cet outil, élaborer des guides et faciliter son appropriation et celle de la performance sociale chez les entrepreneurs sociaux…

 

THÈMES D'ENGAGEMENT SOCIÉTAL
Finance solidaire, Social Business, Entrepreneuriat, Support et renforcement du secteur associatif, Technologies de l'information et de la communication TIC
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